L’œuvre d’Angelika Markul se présente comme une cosmographie alerte et poétique, une représentation plastique du monde inspirée par une conscience écologique et le goût des formes stellaires. Avec Z ziemi do gwiazd (« De la terre aux étoiles » en polonais), la plasticienne trace un axe vertical entre l’humanité et l’univers pour se focaliser sur le lien ténu, parfois rompu, qui unit le sol terrestre et la voûte céleste, l’ici-bas et l’ailleurs astral. Empruntant à l’astrophysique, aux croyances des indiens d’Amérique du Sud et à sa propre expérience du ciel, elle pose ici les bases d’un questionnement métaphysique qui marque un retour à une certaine transcendance païenne, valorisant l’intuition du cosmos comme tout organique. Invocatoires et prophétiques tout à la fois, ces installations confrontent l’œil du public à la beauté astronomique tout en l’engageant sur la voie d’une méditation post-humaniste : de la terre, que peut-on réellement savoir des étoiles ? Au-delà de son écosystème, quelle place est réservée à l’homme dans le macrocosme ? Si l’origine de notre planète est placée dans le ciel, peut-on imaginer y trouver refuge ?
La lourdeur de ces interrogations tranche radicalement avec la simplicité du dispositif scénographique : minimal, sobre, élégant, l’univers d’Angelika Markul est empreint d’une poésie sombre, tantôt sereine, tantôt inquiétante, qui restitue la texture de la terre et la brillance des étoiles. Dans cette singulière représentation du monde, atemporelle et amorphe, l’expérience se vit sur un mode contemplatif, dans une intimité ou une solitude propice au recueillement et à la réflexion. La plasticienne aménage en effet des temporalités distendues ou dilatées, invitant à la découverte patiente de ses œuvres. Dans un parcours en deux temps, elle organise un lent basculement, transforme cette expérience empirique en acte critique et conjure la frénésie de la vie contemporaine en la confrontant aux cycles de l’infini.
La première salle, blanche et silencieuse, évoquant avec simplicité l’esthétique du laboratoire d’astronomie, est consacrée à l’élément terrestre. Au fond, une surface d’observation – bureau d’orientation, vue de belvédère ou table d’examen – présente une carte de cire noire, brune et rouge. Sorte de minéral mou, organique et lunaire, la matière laisse apparaître des traces, des sillages, des nervures, des cratères et des traînées. Possibles itinéraires d’animaux errants ou empreintes d’activités naturelles, ces graphes d’une terre désaffectée symbolisent tout autant la désorientation des hommes modernes, perdus face à l’avenir du monde et aux mystères de l’espace sidéral. Seule la lumière d’un projecteur joue le rôle de repère, rappelant le spectateur à l’héliocentrisme le plus élémentaire : en plaçant le soleil au cœur de son interprétation du monde, Angelika Markul fait signe vers l’éternité de l‘ordre cosmique. Entre les deux, un paysage de montagne se dresse en ligne d’horizon. Liante et séparatrice, cette silhouette incarne la perspective d’un désir d’avenir comme la menace d’un mauvais augure.
Cet horizon fait écho à celui qui cadre l’action de la vidéo Terre de départ, projetée à l’étage. Dans cette seconde pièce, le public doit apprivoiser le noir total et s’imprégner de son ambiance lynchienne, portée par un mixage sonore, celui de l’air et du champ magnétique des planètes. La vidéo représente une nuit étoilée, un cycle nocturne monté en accéléré. D’une netteté scientifique, elle laisse apparaître toute la vitalité du monde céleste à travers ses micro-événements astrophysiques : variations chromatiques, associations d’étoiles, trajectoires d’astéroïdes. En donnant à l‘écologie une dimension littéralement universelle, la vidéaste renoue avec une tradition ancestrale dont elle s’inspire. Ici, elle mobilise une croyance des indiens du Chili selon laquelle notre planète n’est qu’un lieu de passage avant un départ sur les étoiles. Le moment de contemplation devient alors une réflexion sur les sagesses anciennes, les dérives du monde industriel et les faiblesses du savoir moderne, comme un pèlerinage éthéré vers un futur à réinventer.
Florian Gaité, août 2014
Ce texte a été rédigé dans le cadre de l’exposition personnelle « Z ziemi do gwiazd » d’Angelika Markul à la Maison des arts de Malakoff du 20 septembre au 16 novembre 2014.